EXPOSITION DANS LA HALLE AUX OLIVIERS
Jean-Pierre Guillard
Du 27 avril au 29 mai (de 19h à minuit)
Bio taf-taf de Jean-Pierre Guillard par Jérémie Laplace (2011)
Jean-Pierre Guillard naît sous le signe du blues, le 12/12/60 (=5×12) à minuit moins douze, à Courbevoie. Illico, il est envoyé respirer l’air de la mer.
Femme (puis mère) de marins pêcheurs, sa nourrice s’appelle Madame Flèche. Il en gardera le goût durable des parfums portuaires, du vent et des largages d’amarres. Sur le port Ciguet, sa grand-mère, qui aime chenter et danser, tient un café ouvert au rythme des marées. Il en gardera un goût durable pour l’humidité des zincs, pour les bagarres de saloon, pour les grands chiens noirs sur tabouret de bar, coiffés d’un chapeau, qui boivent, à la paille, des sirops à l’eau. Entre la cour de la maison de sa nourrice et le café du port, le marchant-à-peine Jean-Pierre Guillard est plein d’amour : pour preuve, Madame Flèche rapportera « ce petit-là, il aime le sirop de la rue ».
L’enfant est très contemplatif. Quoique sexué, il n’apprend à faire du vélo qu’à 9 ans, à nouer ses lacets à 11 et ainsi de suite en ce qui concerne toute technologie et tout systématisme.
À 11 ans aussi, il se réveille un dimanche matin sans aucun morceau ni de Basie ni d’Armstrong ni d’Ellington ni de Davis ni des Jazz Messengers ni du Modern Jazz Quartet : rien. Son père a quitté le domicile familial avec les disques. Cet enfant aime le jazz, il chante dans le silence les morceaux avec lesquels il se réveillait d’habitude, le dimanche.
Le jour de ses 12 ans (le 12/12/72) Jean-Pierre Guillard invente un blues (de 12 mesures, bien sur) sur le piano que marraine Cerisette lui a apporté pour son anniversaire.
Ce même jour en 12, à New York city, Sonny Stitt enregistre un album composé de 12 blues (de douze mesures chacun) intitulé Twelve.
Jean-Pierre aura constamment un air syncopé et/ou sentimental sur les levres, sa grand-mère l’appellera dorénavant « la sifflette ».
C’est à 13 ans, à l’occasion d’une tempête sur la Mer noire, que ce garçon fût pris de l’irrepressible bougeotte maritime. Il voulait être sur le voilier par gros temps. Il se dégourdira pour naviguer autant qu’il en rêvait.
Sans cesse amoureux d’une jeune fille, ça ne l’empêche pas d’apprendre le saxophone, d’en jouer assez bien assez vite. Révolté, insoumis, exigent, insolent, énervant, son goût de l’expérimentation et des psychotropes lui imposent une scolarité rocambolesque.
Très excité à l’issue d’une visite clandestine dans les ateliers des Beaux-Arts de Paris, il réussit le concours. Aux innocents les mains pleines, il ré-invente la peinture de marine. Attiré par l’irruption de l’abstraction dans la représentation (Klee, De Kooning), par l’ordre secret des rythmes et des couleurs qui font tenir une œuvre debout dans la tempête, il peint immédiatement, éperdument, sans scrupules et sans complexes de grands losanges blancs (non pas vides), (des voiles ?) compressés sur les bords par des couleurs fauvistes. Plus tard le losange central s’ouvrira, deviendra un entre-deux unissant/séparant des sortes de totems calés sur les limites verticales du tableau (la toile).
Jean-Pierre Guillard a quitté sa mauvaise banlieue, habite une chambre de bonne dans le centre, déambule des jours et des nuits dans Paris sans parler à personne, écrit de violents poèmes en marchant (quelques-uns publiés dans la revue Artère) qui rappellent ceux, automatiques, des surréalistes,. Il dresse des typologies urbaines désirantes et savoure de s’y perdre.
Jean-Pierre Guillard se dégoûte rapidement de la richesse de la peinture à l’huile et du vain (fat?) confort psychodramatique de l’école des Beaux-Arts. Il tente de faire swinguer les matériaux les plus pauvres, les rebuts, les couleurs méprisées. Peu à peu l’entre-deux se peuple de signes qui disparaissent en même temps que le peintre, absorbés par la toile et recrachés derrière. Ce sont les grande toiles (climatiques, dit-il) de 1984 & 85.
1985, année, en effet, de disparitions : son grand amour disparaît, le contenu de son atelier cambriolé aussi (il ne lui reste que les dernières grandes toiles, peintes à une autre adresse), ses références matérielles lui sont dérobées : sa discothèque, sa bibliothèque, ses bronzes africains, sa gravure de Picasso, son chevalet droit, son saxophone. Disons que tout disparaît puisqu’il ne reste matériellement plus rien. Ce sont ces cinq dernières années sans un jour sans peindre qu’il va fuir violemment.
Il aime les aubes. Il vit la nuit, roule même la nuit pour la compagnie des wagons-lits et va sentir quel air Venise, Nice, Madrid ou Copenhague dispensent au petit matin. Il écrit sauvagement, chante le jazz comme un fou – ce qui ne plaît qu’aux musiciens noirs américains et aux comédiens. Il fréquente des dramaturges et ces mêmes comédiens qui parlent de leurs rôles comme le peintre aurait aimé qu’on parla de soi — et aussi ces comédiennes qui se couchent tard, qui l’emmènent au théâtre et complètent sa culture littéraire et amoureuse.
Mais la pratique picturale se glisse dans son sommeil. Endormi, sans allumer de lumière, il trace au stylo-bille, a la mine ou même avec ses doigts mouillés, salis dans le cendrier, sur des papiers trouvés, des corps en filaments, verticaux, des flammes noires. C’est de ces griffonnages (somnambuliques, lance-t-il) qu’il part quand, un an plus tard, des amis insistent pour qu’il expose avec eux. Il prend de grandes feuilles blanches qu’il vieillit d’un lavis, y dresse au fusain, de longues figures élancées et déstructurées qu’il appellera naturellement fantômes.
Malgré son goût et ses dispositions pour la couleur, convertir ces dessins en peintures s’avéra impossible compliqué, ces évanescences se refusaient à toute autre matière qu’à la poudre volatile du charbon. Cependant il persévéra, produisit beaucoup de figures grotesques (mes Mickeys de fantômes, se moque-t-il) avant de trouver une équivalence qui lui convienne. Son long voyage mexicain va l’y aider. Entre toutes les images cathartiques de la mort et les peuples des squelettes, entre les représentations classiques, lourdes et obscures de la Guadalupe et l’art populaire du masque, tout va enrichir son répertoire de figures.
L’hépatite qui survint après son retour du Mexique (de ses dégustations d’huîtres de pleine mer en pleine mégapole d’altitude) le contraint à une vie moins soluble dans l’artificielle vitesse. Il se décide à chercher un endroit pour se cacher et se concentrer sur son œuvre à venir. En 1991 une grande maison en Bourgogne sèche lui ouvre ses portes et le couvercle d’un Stainway demi-queue.
Il se fidélise aux grands formats immobiles (150/150) et, en même temps, peint sur papier ou carton « sur le côté precise-t-il ». Voilà pour le matin. Le reste de la journée : potager, piano, lectures et dessins – il assurera la part dessinée de deux ouvrages du Théâtre Typographique : Allemands de Walter Benjamin et In A Sheer Whatness de Dominique Fourcade.
Quand il rentre à Paris avec un travail qui n’avait jamais été aussi « considérable » “consequent” (c’est lui qui souligne), il a le plus grand mal à le faire aimer. Paris, qu’il a quitté quatre ans auparavant, regarde désormais les peintres et leurs tableaux d’un œil mauvais. Cet insuccès le blesse le froisse.
Pour l’éloigner de sa femme, son ami Pépé l’emmène peindre des décors au loin, à l’étranger. Si le travail et l’art décoratif lui paraissent étranges et suspects, il apprend à aimer à intégrer la peinture aux belles architectures et il apprécie les voyages et la bonne compagnie de Pépé. Cela durera un long moment nuageux pendant lequel il oubliera l’artiste en lui.
En 1997, il investit une partie de l’atelier d’Orsel, à Montmartre, dans le quartier des tissus, pour peindre un décor que cette fois il signe (il réalise aussi une exposition au théâtre de l’Odéon d’après les répétitions d’un spectacle d’après les Obérioutes). Il s’endort parfois sur le sofa d’un cagibi où sont entreposées jusqu’au plafond des œuvres des peintres et graveurs passés par l’atelier. Un matin, il se réveille en sursaut, tire d’un carton à dessin, comme une carte (du talon) d’un jeu, un de ses dessins oubliés et ce dessin lui plaît bien.
Il s’en suivra une pleine année de peinture. Il ajoutera à ses tableaux et dessins récents ceux, nombreux, réalisés en Bourgogne, exposera l’ensemble, en vendra enfin, travaillera un peu avec des galeries, sera lauréat d’un salon de mécénat, aura des projets et finira l’année 1998 avec un coup sur la tête qui le laissera sans aucun goût ni odorat.
Peu avant cet accident Jean-Pierre Guillard avait commencé une série de quatre toiles carrées de 120/120, chacune intitulée “Portraits Décevants au choix : Zinedine Zidane ; Lionel Jospin ; Jacques Derrida ou Céline Dion”. Elles représentaient des têtes, centrées dans des formats carrés, avec une bosse sur la tête et le nez tombant du visage. Après l’accident, devenu expert en déception, il considéra ce travail comme prémonitoire et abandonna les grandes toiles colorées pour de simples dessins, traits au fusain sur papier blanc appelés « Dessins anosmiques ».
Sa nouvelle vie truffée de vides sensoriels s’emplit d’activités : il réalise des performances pour Il Faut Le Faire dans le cadre des manifestations « Art et politique », se voit commander scénographies de théâtre, d’opéras et décors d’intérieur. Il traitera ainsi Tsetaeva, Britten, Pérec, Humperdick, Minyana, Verdi, Bonaventura, de Quincey, Mozart, Copi, Zinnie Harris, Beckett, Shakespeare, Antonio , Paravidino, (et aussi : Cellati, Walser, Dubillard, Simone, Gaudet, Chevillard, Grinberg, Tchekov, Scarletti, Scheonberg) jusqu’à Antonio Tarentino puis Léa Doer au Théâtre national de la Colline à la fin des années 2000. Mais aussi des brasseries belges, des planchers suédois, des intérieurs XVIIe, du colorisme immobilier, des vitraux. Il ira travailler à Lausanne, Genève, New York, Washington, Los Angeles, dans le Wyoming, à Parme, Bruxelles, Londres, Dakar, Joannesburg et Cape Town, à Alexandrie, à Alger, en Alsace, à Bourges, Rennes, Rouen, Reims, Pantin, Alfortville et Saint-Denis et, finalement, au bout de la rue de Bagnolet (dans le 20e à Paris).
En 2001, il fait un livre des notes consignées pendant les quatorze premiers mois de son anosmie – finalement publié en janvier 2009 sous le titre “Sous vide” par les éditions Les Fondeurs de Briques.
Il gagnera un fils (Joseph-Joseph), perdra son père (Michel). Il scatera de temps à autre. Il mettra en fin de compte ses portraits décevants en peintures anosmiques, réalisera de rares Fantômes. C’est en dessinant pour la scénographie d’un spectacle d’après Beckett que ses fantômes se redresseront et reprendront vie. Une série d’entre eux intitulée MesMalones sera exposée à l’espace Window en novembre 2008. Il utilisera de plus en plus les collages pour faire rebondir les fantômes, exposera de nouveau, travaillera avec ou pour les enfants.
Et il retrouvera une enfance Dada à l’occasion d’une exposition pour les tout-petits , commandée par de grandes médiathèques qu’il appelera Quand Est-Ce Qu’On Mange?
“(…) une histoire qui ne sera rien du tout si vous n’êtes pas vous-même capables d’en augmenter la portée par une sympathie qui amplifiera les sentiments qu’elle contient”
Thomas de Quincey
Jérémie Laplace. Janvier 2012.
